Article publié dans la revue Extra Judiciaire février 2018
Notre chronique traite d’un phénomène à forte croissance : l’administration de la preuve électronique en matière familiale. Le droit familial entretient un rapport schizophrénique avec les règles de procédure civile.
D’un côté, il s’agit d’un des domaines du droit civil nécessitant le plus de procédures écrites, le plus de vacations à la cour et, par conséquent, pour qui le meilleur ami d’un avocat est son nouveau Code de procédure civile.
« Avez-vous signé votre Déclaration requise en vertu de l’article 444 C.p.c.? », « votre Annexe 1 et votre Formulaire III sont-ils assermentés? » ou « l’Attestation relative à l’enregistrement des naissances n’est pas au dossier de la cour et je ne peux pas émettre une attestation de dossier complet » sont des exemples de la rigidité procédurale à laquelle se butent les avocats en droit familial.
À l’inverse, dans la pratique, le droit familial fait également preuve d’une grande souplesse à l’égard de certaines règles de procédure.
Par exemple, la plupart des actions en justice sont présentées sans respecter les délais prévus au n.C.p.c., même si aucun motif allégué ne justifie une telle urgence, à l’indifférence générale.
Aussi, il est fréquent que l’inventaire de pièces soit communiqué à la partie adverse après le délai de 30 jours suivant la fixation de la date d’audition au mérite, le tout en contravention de l’article 248 n.C.p.c., et ce, sans la moindre conséquence, objection ni autorisation du tribunal.
Par conséquent, le droit familial est-il un droit formel et rigide ou un droit nonchalant et débonnaire?
La Cour d’appel a maintes fois affirmé que le fond l’emporte sur la forme et qu’il est dans l’intérêt supérieur des justiciables que le tribunal fasse preuve de flexibilité dans l’administration de la justice en matière familiale, où l’intérêt des enfants doit primer¹.
Or, au cours des 10 dernières années, de nouvelles questions d’administration de la preuve basées sur des moyens de communication modernes se posent, ce qui constitue l’objet de la présente chronique : l’administration de la preuve électronique.
Nous aborderons tout d’abord la question de l’administration des communications écrites entre les parties (courriels, textos et discussions Facebook); puis nous traiterons de la question des enregistrements audio des communications entre les parties et entre une partie et un enfant mineur.
Ces deux types de communications doivent non seulement respecter les dispositions du Code civil du Québec et du Code de procédure civile, mais aussi celles de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (ci-après LCCJTI).
L’administration des communications écrites entre les parties
Commençons avec un exemple. Dans un litige où l’avocat compte démontrer des problèmes graves de communication entre les parties, l’avocat veut mettre en preuve un échange de textos. L’échange de textos se trouve sur le téléphone intelligent de son client. Le client fait une copie d’écran des textos qu’il envoie en pièce jointe par courriel. L’avocat reçoit la pièce jointe par courriel, l’imprime et, s’il est consciencieux, met en demeure la partie adverse de reconnaître l’origine et l’intégrité de la communication entre les parties; mais, le plus souvent, il la communique simplement pour la déposer au dossier de la cour à titre de pièce, en liasse. Conformément à l’article 5, alinéa 3, de la LCCJTI, l’échange de textos sera admissible en preuve à titre d’élément matériel.
Selon la LCCJTI, les opérations décrites ci-haut constituent des transferts technologiques, car nous passons d’un médium technologique à l’autre. En effet, nous passons a) d’une conversation enregistrée sur un téléphone intelligent b) à une pièce jointe de type PDF transférée par courriel c) à un médium papier. Toujours selon la LCCJTI, une preuve de maintien de l’intégrité et de l’authenticité devrait être faite pour chaque transfert. Les plus agiles avec l’informatique parmi vous savent qu’il est en effet possible de supprimer ou d’altérer des parties d’une conversation (des métadonnées du document).
Pourtant, seriez-vous étonnés d’apprendre qu’aucune décision n’existe au Québec au sujet du maintien de l’intégrité et de l’authenticité des documents lors de transferts technologiques en droit familial? Pourquoi donc? Serait-ce parce que les avocats en droit familial, aussi grands juristes soient-ils, ne maîtrisent pas ce droit nouveau que représente la LCCJTI?
Lors du dernier colloque Développements récents en droit familial s’étant tenu à Montréal le 22 septembre 2017, l’avocat émérite Michel Tétreault nous a entretenus de la question de l’administration de la preuve électronique. À la pause, nous l’avons questionné à savoir si des objections invoquant les dispositions de la LCCJTI avaient déjà été plaidées en droit familial. Me Tétreault nous a répondu que non, et qu’il faudrait qu’un avocat se lève un jour afin de plaider ces dispositions pour créer un précédent. À bon entendeur!
En revanche, un bémol sur cette question reste la proportionnalité entre les coûts d’une attestation d’intégrité lors d’un transfert technologique et la valeur pécuniaire de la question de droit ou de faits en jeu. En effet, cette attestation est faite par des huissiers spécialisés en droit technologique et aptes à analyser si les métadonnées de ces documents ont été altérées ou non. Cette attestation peut donc s’avérer onéreuse.
L’administration d’enregistrements audio de communications
La même logique s’applique lorsqu’une partie enregistre une conversation sur son téléphone grâce à une application. L’enregistrement audio est, par exemple, transféré par courriel en pièce jointe à son avocat, qui le met sur une clé USB pour le communiquer à la partie adverse et le déposer au dossier de la cour.
Une preuve de maintien de l’intégrité et de l’authenticité de la communication devrait être faite pour les transferts a) du téléphone vers un fichier mp3 joint au courriel, puis b) du fichier mp3 du courriel au fichier mp3 de la clé USB.
À noter qu’une conversation enregistrée entre les parties, de même qu’une conversation enregistrée entre la partie adverse et l’enfant des parties est généralement admise en preuve par les tribunaux, malgré l’atteinte à la vie privée des personnes enregistrées à leur insu, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant².
Lors du colloque du 22 septembre 2017, Me Tétreault nous mettait toutefois en garde contre l’explosion du nombre de textos, courriels et enregistrements audio versés à titre de preuve dans les dossiers en matière familiale. Cela ne servirait ni les intérêts supérieurs de la justice, ni ceux des parties, ni (et surtout) ceux des enfants qui sont au cœur des litiges.
On s’en va où avec ça?
La problématique des transferts technologiques, qui vous préoccupe sûrement autant que les soussignés, trouvera probablement un dénouement heureux plus pratique que théorique.
En novembre 2017, le juge Clément Samson disait devant le ministère de la Justice que l’administration de la justice québécoise avait un problème majeur, soit que toute action en justice doive avoir sa copie papier au palais de justice, ce qui alourdit l’épaisseur des dossiers et augmente les ressources requises à leur traitement³.
Un greffe électronique, où les documents seraient versés dans l’infonuagique (le cloud) sécurisée du ministère de la Justice, permettrait d’entreposer aisément les dossiers, désengorgerait les tribunaux de centaines de boîtes de dossiers et rendrait leur accès beaucoup plus facile.
Par la même occasion, cela éviterait de transférer les pièces électroniques vers un support papier tout en les entreposant dans une infonuagique sécurisée, ce qui permettrait facilement d’authentifier que les métadonnées n’ont pas été altérées.
Mais si on envisage le greffe électronique depuis les années 1990, il faudra sûrement encore « un peu » de temps au ministère de la Justice pour oser faire ce grand bond en avant vers une révolution numérique de l’administration de la justice.
D’ici là, nous continuerons à déposer des clés USB avec un morceau de papier collant sur un endos au dossier de la cour…
Pascale Rémillard,
Gabriel Meunier
¹ Droit de la famille — 131451, 2013 QCCA 954 ; E.G. c. F.H. [1995] A.Q. (Quicklaw) no 100 (C.A.); Droit de la famille — 073489, 2007 QCCS 6583.
² Droit de la famille – 083035, 2008 QCCS 5680; Droit de la famille – 2206, [1995] R.J.Q. 1419 (C.S.).
³ http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/yves-boisvert/201711/21/01-5144385- renover-le-quebec-ou-diminuer-les-impots-.php.