Dans le cadre des 120 ans du Jeune Barreau de Montréal, je me suis interrogé sur ce que représente le fait d’être un jeune avocat au Québec, en 2019. Vous me permettrez donc une chronique philosophique sur le sujet. Sortez le scotch et installez-vous confortablement sur votre canapé.
Tout d’abord, pour comprendre ce qu’est ou devrait être un jeune avocat ou une jeune avocate, il faut se demander ce qu’est le droit. Une brève recherche sur lnternet nous donne les défi nitions suivantes pour « droit » (nom commun) :
1. Ensemble des règles et lois qui régissent les rapports entre les personnes au sein d’une société. Syn. droit objectif, droit positif;
2. Discipline ayant pour objet le droit au sens précédent;
3. Capacité d’un sujet d’agir, de disposer ou d’exiger légitimement quelque chose. Syn. droit subjectif;
a) Droit à : revendication légitime (droit créance);
b) Droit de : garantie accordée à un individu de pouvoir agir sans qu’on restreigne son action (droit liberté).
Philosophiquement parlant, c’est sur la première défi nition que je souhaite pousser ma réfl exion : « ensemble des règles et lois qui régissent les rapports entre les personnes au sein d’une société. Syn. droit objectif, droit positif ».
On peut donc dire que le droit est une photographie d’une société à un moment donné. En effet, ces règles et lois, s’inspirant des normes sociales, évoluent dans le temps. Par exemple, au Québec, les femmes obtiennent le droit de vote seulement en 1940 et la personnalité juridique en 1964. Au Canada, l’homosexualité constitue un crime jusqu’en 1969 et la possession simple de cannabis, jusqu’en octobre 2018.
Ainsi, lorsque je me promenais paisiblement à l’été 2018 avec un gramme de « pot » dans les poches, je risquais une condamnation et un antécédent judiciaire mettant en danger mon droit de pratique. Désormais, une société d’État va se faire le plaisir de m’en vendre pour renfl ouer les poches de l’État et de nombreuses publicités payées avec mes taxes vont m’inviter à essayer biscuits, muffi ns ou d’autres produits dérivés afi n d’être bien greillé au prochain pique-nique entre amis au parc Jarry. En fait, avant le 17 octobre, tous ceux qui faisaient la fi le devant la Société québécoise du cannabis (SQDC) étaient des criminels en puissance. Aujourd’hui, ce sont des clients normaux
Ainsi, comment pouvons-nous réconcilier notre devoir de défendre la règle de droit, qui peut parfois nous sembler injuste, avec notre désir de nous positionner comme vecteur de changement?
Quelle est la responsabilité d’un avocat dans une société injuste? Aux lois liberticides? On peut penser aux juristes sous l’Allemagne nazie ou à l’Union soviétique. Aurions-nous risqué notre vie pour défendre les principes de justice fondamentale? Probablement pas. Nous ne sommes pas des héros.
Mais à une époque contemporaine, on peut s’interroger sur la responsabilité d’un juriste. Deux exemples :
En 2002, l’administration Bush demande à ses juristes de lui fournir un avis juridique justifi ant l’usage de la torture contre ses prisonniers détenus à l’étranger. Le juriste John Yoo la lui fournit. C’est ce que l’Histoire retiendra comme les Torture Memos. On peut tous se mettre à la place d’un avocat qui se fait demander par ses supérieurs de faire quelque chose. On peut tous se mettre à la place d’un avocat qui risque de voir sa carrière frapper un mur s’il ne le fait pas. Loin de moi l’idée de faire porter l’ensemble du blâme sur le juriste qui n’a fait qu’appliquer le mandat qui lui avait été donné. Mais où tracer sa limite?
À l’inverse, il y a l’exemple de la parlementaire britannique Clare Short, ministre du gouvernement travailliste de Tony Blair. Celle-ci a démissionné en 2003 plutôt que d’être liée par la solidarité ministérielle d’un gouvernement qui s’engageait dans une guerre qu’elle croyait injustifiable et plutôt que de mentir au peuple britannique au sujet d’alléguées armes de destruction massive qu’aurait possédées Saddam Hussein. Loin de moi l’idée de porter aux nues cette parlementaire et ancienne fonctionnaire. De toute façon, l’armée britannique a envahi l’Irak avec les États-Unis.
Je vous livre ces réflexions pour alimenter la vôtre sur la responsabilité qui découle de notre serment. Serment dont nous avons tous oublié plus ou moins le libellé. Oubli probablement imputable au stress et à l’excitation entourant cet événement important de nos vies qu’est l’assermentation. Mais au-delà du libellé de ce serment, prenons-nous réellement le temps de nous demander ce que celui-ci signifie pour nous?
Mon autre réflexion porte sur la place de l’avocat en tant que vecteur de changement, celui-ci pouvant parfois être diamétralement opposé à notre rôle de gardien de l’ordre actuel. D’ailleurs, la plupart des facultés de droit forment des techniciens qui, essentiellement, se limitent à analyser le droit tel qu’il est, tel une Bible ou une table des lois immuable.
Pourtant, le système actuel est loin d’être parfait. Ce système favorise essentiellement le commerce et protège les riches, souvent au détriment des plus démunis. Ce n’est pas pour rien que les inégalités sociales se creusent. Ce n’est pas pour rien que des pétrolières peuvent menacer des villages, en sachant qu’elles n’auront jamais à rembourser, même en cas de condamnation. Ce n’est pas pour rien que la Cour suprême affirme que le gouvernement fédéral n’a pas à consulter les Premières Nations quand il élabore des lois qui peuvent affecter leurs droits. Ce n’est pas pour rien que le Québec n’a jamais signé la Constitution, la loi suprême d’un pays, plus de 35 ans après son adoption. Ce n’est pas pour rien que le système de justice est toujours sous-financé et que les avocats qui prennent les mandats d’aide juridique sont sous-payés.
Jusqu’où un avocat peut-il décider de refuser de cautionner le système? Jusqu’où peut-il le critiquer et le combattre, idéalement, en conservant son droit de pratique? Parce qu’il existe peut-être de réelles bonnes raisons de faire invalider toutes les lois de ce régime politique archaïque, le processus unilingue d’adoption des lois du Québec n’en faisait pas partie.
En cette année du 120e anniversaire, ce sont ces dilemmes qui m’habitent.
Joyeuse Saint-Valentin!