L’hiver 2019 nous a donné droit à une saga politico-judiciaire entourant la gestion du dossier SNC-Lavalin par le gouvernement Trudeau et sa ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould.

En résumé, tel qu’elle l’a affirmé dans son témoignage en comité parlementaire, le 27 février 2019, elle estime avoir été, à titre de procureure générale du Canada, l’objet de pressions inappropriées par le bureau du premier ministre. Autant l’opinion publique québécoise fût divisée sur ces événements, autant la presse du Rest of
Canada a fait de Wilson-Raybould une martyre.

 Je voulais profiter de cet événement pour traiter de la question de la séparation des pouvoirs dans une monarchie constitutionnelle de type britannique, ainsi que du bilan de l’ex-ministre de la Justice.

 

Séparation des pouvoirs : comparaison États-Unis/Canada

Fondée sur l’œuvre de Montesquieu, « la séparation des pouvoirs se défi nit comme un principe politique selon lequel les fonctions des institutions publiques sont divisées entre le pouvoir législatif qui fait les lois, l’exécutif qui les met en œuvre et les fait appliquer, et le pouvoir judiciaire qui les interprète et les fait respecter.

D’une manière plus précise, la séparation des pouvoirs prévaut lorsque la branche exécutive et la branche législative sont dans une relative indépendance parce qu’elles sont élues distinctement (exemple : États-Unis). Dans le cas d’un régime parlementaire, on parle plus d’une collaboration des pouvoirs, puisque la survie du
gouvernement dépend du soutien du parlement (exemple : Royaume-Uni, Canada ou Australie). »[1]

Aux États-Unis, la branche législative (Congrès) est composée de deux chambres élues (Chambre des représentants et Sénat) tandis que l’exécutif est le Président (Maison-Blanche). Il existe des contre-pouvoirs entre ces deux branches, l’exemple patent étant lorsque le président Obama voulait faire adopter Medicare, mais que le Congrès républicain bloquait le projet de loi. On peut penser également à la nomination du juge Kavanaugh à la Cour suprême qui a été le fruit de discordes, vu les allégations d’agressions sexuelles qui pesaient contre lui, celui-ci ayant dû passer devant un comité composé de membres démocrates et républicains du Congrès.

Par opposition au Canada, le parti qui fait élire le plus de députés à la chambre législative risque souvent d’obtenir une majorité à la chambre, lui permettant de contrôler l’agenda législatif. Par ailleurs, le chef du parti ayant fait élire le plus de députés forme le gouvernement (pouvoir exécutif). Ainsi, le cabinet ministériel siège en même temps à la chambre législative, d’où l’absence complète de contre-pouvoirs entre le législatif et l’exécutif. Finalement, le procureur général est à la fois député élu à la chambre législative, membre du cabinet des ministres et procureur général. Il y a donc, par le fait même, une concentration incroyable des pouvoirs.

Historiquement, c’était le premier ministre qui était le procureur général avec les problèmes que cela causait (Roncarelli c. Dupplessis). Or, on voit aujourd’hui que le fait de nommer un autre ministre comme procureur général ne change rien, puisque c’est ultimement la prérogative du premier ministre de choisir les juges à être nommés (Commission Bastarache, affaire Wilson-Raybould, usage par les libéraux fédéraux de bases de données libérales pour vérifier si les juges à nommer ont donné au parti).

Par ailleurs, quand Wilson-Raybould allègue des pressions inappropriées, elle omet de dire que la nature de son triple emploi (députée-ministreprocureure générale) entraîne une confusion, dans la mesure où dans le dossier SNC-Lavalin, il est normal que le premier ministre lui en parle à titre de député ou de ministre, vu la nature politique du dossier. Il est trop simple de dire qu’on ne pouvait pas lui en parler à cause de l’indépendance judiciaire! Comme on l’a vu plus haut, le Canada n’est pas les États-Unis et il n’y a pas réellement de séparation des pouvoirs au Canada, mais plutôt une confusion des genres.

 

Arrêt Jordan et nomination de juges


Il faut croire qu’on retiendra surtout du passage de Wilson-Raybould à la Justice ses frasques et son désir de renier la solidarité ministérielle. Si les reproches ont été nombreux sur sa gestion du dossier SNC-Lavalin, il y a d’autres dossiers dans lesquels la ministre n’a pas su livrer la marchandise. On peut penser notamment aux conséquences de l’arrêt Jordan[2] qui fixe à 18 mois le délai maximal pour des causes en matière criminelle en cours provinciales et à 30 mois en cours supérieures.

Son laxisme à nommer des juges aux Cours supérieures, malgré les demandes répétées de Québec, a entraîné une pression insoutenable sur le système de justice québécois, avec une multiplication des arrêts de procédure. Ils s’élevaient à 200 en 2017, au point où l’on ignore désormais combien d’arrêts de procédure ont eu
lieu depuis 2016 et que le DPCP ne compile même plus ces données depuis mars 2018! 

En 2018, l’Association du Barreau canadien devait envoyer des lettres à la ministre pour lui rappeler l’urgence de nommer des juges et l’impact sur le système de justice de son manque de diligence à le faire. Enfin, le rythme aurait accéléré depuis la nomination de David Lametti comme procureur général du Canada. Ainsi, je ne suis pas en mesure de nommer un seul dossier où Wilson-Raybould aurait simplement satisfait aux attentes du poste.

Puisque le numéro d’avril traitait de santé mentale, je soulignerais que l’arrêt Jordan a eu un impact significatif sur la santé mentale des avocats de la défense et sur la hausse des cas de détresse psychologique des avocats de la défense. Bref, un beau gâchis, pour lequel Wilson-Raybould n’a pas su apporter une solution. Pour l’image de la pauvre et vertueuse ministre sacrifiée sur l’autel de la méchante politique, on repassera!

Finalement, l’affaire du vice-amiral Norman vient confirmer que la gestion de la justice par libéraux ces quatre dernières années a été un échec à tout point de vue.

 

[1] http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1528
[2] [2016] 1 R.C.S. 631.