Alors que les élections fédérales approchent, la question de l’influence étrangère interpelle le gouvernement libéral et la plupart des partis politiques.

Rappelons que les services secrets américains ainsi que le procureur spécial Robert Mueller ont fait état de vastes efforts des services de renseignement russe en vue d’aider Donald Trump à remporter l’élection présidentielle de 2016 et de nuire à sa rivale démocrate Hillary Clinton. De plus, le directeur du FBI, Christopher Wray, estime que la Russie continue de représenter une menace pour l’élection présidentielle de 2020. 

L’affaire Cambridge Analytica, laquelle a fait l’objet d’un documentaire maintenant disponible sur Netflix, a aussi démontré que cette firme d’analyse de métadonnées aurait utilisé, au service de la Russie, les données Facebook de millions d’Américains et de Britanniques pour peser de tout leur poids en faveur de l’élection de Donald Trump et en faveur du Brexit de 2016.

Dans la même veine, des inquiétudes ont été soulevées à l’été 2019 relativement à l’application web FaceApp, qui permet de voir de quoi les utilisateurs auront l’air  dans 40 ans. En effet, il s’agit d’une application russe qui, pour être utilisée, nécessite d’accorder un accès total aux données personnelles contenues dans le profil
Facebook de l’utilisateur. Selon des politiciens démocrates aux États-Unis, ces données personnelles pourraient être utilisées contre le Parti démocrate lors des prochaines élections.

Dans ces circonstances, plusieurs au pays s’inquiètent de l’influence que pourraient avoir la Russie et d’autres puissances étrangères sur les résultats des élections fédérales de 2019 et de l’élection présidentielle américaine de 2020.

 

Historique de l’influence américaine

Il est toutefois ironique que les puissances occidentales s’inquiètent et s’insurgent de l’influence que la Russie peut avoir sur les élections, les États-Unis, la CIA et leurs alliés ayant un historique très garni en matière de soutien à des coups d’État, dont les suivants : 

Guatemala 1954 – Le gouvernement élu de Jacobo Arbenz est renversé par un putsch soutenu par les États-Unis. Début de 40 années d’exactions des escadrons de la mort, faisant plus de 200 000 victimes.

Cuba 1961 – Des exilés cubains, soutenus par les États-Unis, débarquent à la baie des Cochons. Il s’agit d’une tentative d’invasion militaire visant à renverser le nouveau gouvernement cubain établi par Fidel Castro, qui mène une politique économique défavorable aux intérêts américains et se rapproche de l’URSS1. L’opération est un échec complet, menant éventuellement à la crise des missiles de Cuba de 1962.

Congo 1961 – À la suite de l’indépendance congolaise des Belges, la CIA fait assassiner leur leader Patrice Lumumba, afin de le remplacer par le dictateur Mubutu.

Chili 1973 – Un coup d’État dirigé par le général Augusto Pinochet et soutenu par les États-Unis renverse le gouvernement socialiste de Salvador Allende. On dénombre 3 000 morts au cours des premiers mois, des milliers de disparus, et des dizaines de milliers de personnes torturées.

Ukraine 2013 – En 2004, des intérêts américains financent la révolution orange qui mène au pouvoir un gouvernement pro-européen. En 2010, le candidat prorusse Ianoukovitch est élu et annonce, en 2013, la fin des accords commerciaux avec l’Europe. Les Américains soutiennent alors des éléments d’extrême droite du parti Svoboda et un coup d’État qui mènera à l’intervention russe au cours de laquelle elle annexera la Crimée. En date d’aujourd’hui, la guerre se poursuit dans plusieurs
provinces de l’est de l’Ukraine.

Venezuela 2019 – Plus récemment encore, le soutien du gouvernement Trudeau et du président Trump à Juan Guaido dans sa tentative de renverser le régime socialiste du président démocratiquement élu Nicolas Maduro démontre que les puissances occidentales sont toujours actives sur ce front diplomatique.

La question de légitimité démocratique et d’influence étrangère est donc une question de double standard. L’influence étrangère est malsaine lorsqu’elle est dirigée contre nous. Sinon, il s’agit simplement de politique étrangère.

 

Historique canadien

En matière d’influence « étrangère » sur les élections, rappelons que la Commission Gomery a démontré que le gouvernement fédéral du Parti libéral du Canada a fait de nombreuses tentatives, de 1997 à 2003, afin de promouvoir à grands frais les avantages pour les Québécois de rester liés avec le Canada.

Par ailleurs, il a été prouvé que lors du référendum de 1995, le gouvernement fédéral et le camp du « Non » avaient largement dépassé le plafond des dépenses permises en camouflant certains coûts. Lors de la Commission Charbonneau, Gilles Cloutier qui coordonnait les activités du « Non » dans 35 circonscriptions a confirmé avoir dépensé des milliers de dollars non déclarés pour chaque circonscription. Je ne fais même pas mention du love-in, une semaine avant le vote, qui ne
fut jamais comptabilisé. Ajoutons que, selon les chiffres officiels d’Immigration et Citoyenneté Canada, le nombre d’attributions de citoyenneté canadienne au Québec passa de 23 799 en 1993 à 43 855 en 1995 et que 11 400 certificats furent attribués dans le seul mois d’octobre 1995. Ce fut la première et la dernière fois que les résidents du Québec recevaient plus de certificats de citoyenneté que les résidents de l’Ontario.

Avec le résultat serré qui en a découlé, où le vote s’est perdu à moins de 50 000 voix, on ne peut que constater l’impact qu’ont eu ces influences étrangères dans un scrutin québécois. On pourrait même aller jusqu’à dire que le référendum de 1995 fut volé par le fédéral. Mais comme le disait Jean Chrétien, « à la guerre, on ne regarde pas d’où proviennent les munitions ».

Élections fédérale de 2019


Dans les circonstances, les inquiétudes d’influences étrangères lors des élections d’octobre 2019 sont fondées, car si nous le faisons, il y a de fortes chances qu’on nous le fasse.

En octobre 2018, les libéraux fédéraux ont renforcé le projet de loi C-76 visant à faciliter le processus électoral pour les Canadiens, tout en se parant contre  l’ingérence. Un certain nombre d’amendements ont été ajoutés, dont un qui interdirait aux groupes de pression de mener des campagnes partisanes financées par des entités étrangères. Par ailleurs, le projet de loi vise à se prémunir contre une possible instrumentalisation des réseaux sociaux, que ce soit pour manipuler les résultats d’un vote, alimenter la division, propager des messages haineux ou susciter la méfiance envers le système électoral. 

En janvier 2019, le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a dit que le Canada prendrait d’autres mesures pour éviter l’influence étrangère en ligne et les cyberattaques. Il invite aussi les Canadiens à être vigilants quant à l’information qu’ils trouvent en ligne. 

Par ailleurs, une équipe de hauts fonctionnaires formée à Ottawa pourrait décider de  repousser la tenue des prochaines élections en cas d’ingérence majeure d’un pays étranger. 

Vous me permettrez toutefois un haussement d’épaule cynique vis-à-vis l’efficacité de ces mesures. Bien que l’influence étrangère soit néfaste, elle semble être une pratique bien ancrée, et ce, chez nous comme ailleurs. Personnellement, ce qui me fait encore plus peur que l’influence étrangère, c’est que nos gouvernements actuels jettent le blâme sur ces attaques venant de l’extérieur, au lieu de procéder à un exercice d’introspection plus que nécessaire.