Le 25 septembre 2019, le Gouvernement du Québec a déposé le projet de loi 39 proposant un
mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales. Ce projet vise à
réformer l’actuel mode de scrutin uninominal à un tour, de type «first past the post».

Historique du mode de scrutin actuel

Le scrutin uninominal majoritaire à un tour est un système électoral d’origine britannique qui consiste pour l’électeur à choisir un candidat parmi plusieurs au sein d’une circonscription. Celui qui en recueille le plus grand nombre remporte l’élection. Le parti politique faisant élire le plus de députés forme le gouvernement et le
chef du parti devient le premier ministre. 

Ce système est simple d’application et ses règles sont faciles à assimiler.

Toutefois, ce mode de scrutin permet généralement l’élection d’un candidat n’ayant pas reçu la majorité absolue des votes de sa circonscription. Lorsqu’il y a plusieurs candidats, la division du vote peut permettre à un candidat d’être élu avec moins de 30 % des voix. On reproche donc à ce mode de scrutin la
représentation non-proportionnelle des partis par rapport au nombre de votes ainsi que de favoriser les grands partis au détriment des plus petits.

À titre d’exemple, lors de l’élection fédérale de 2019, avec 5 911 588 votes (33,1 %), le Parti libéral obtient 157 sièges sur 228, alors qu’avec 6 150 177 votes (34,4 %), le Parti conservateur obtient 121 sièges et que le Parti vert obtient 3 sièges avec 1 160 694 votes (6,5 %). 

Lors de la campagne électorale fédérale de 2015, Justin Trudeau avait promis que ce serait la dernière élection selon l’actuel mode de scrutin. Or, une fois élu, Trudeau a plutôt créé une commission pour examiner l’opportunité d’une telle réforme, commission qui s’est sabordée au profit d’une consultation électronique auprès des Canadiens. Résultat de cette « consultation » : en l’absence de consensus au sein de la population canadienne, il n’apparaissait plus opportun pour
Trudeau d’aller de l’avant avec cette promesse.

Ce n’est pas la première tentative de réforme de mode de scrutin qui échoue. Cette promesse faisait partie programme du Parti Québécois lors de son élection en 1976. Toutefois, si Lévesque y était favorable, l’opposition au sein des autres partis et du caucus du PQ a fait échouer le projet.

Une nouvelle tentative et un nouvel échec ont également eu lieu en 2004, durant le premier gouvernement Charest.

La réforme proposée 

Le projet de loi soumis par la ministre LeBel est de type mixte avec compensation régionale. La mesure vise à faire en sorte que le nombre de sièges obtenus par un parti aux élections québécoises corresponde davantage au pourcentage de votes qu’il a récoltés dans l’urne.

Sur 125 députés, 80 seraient élus selon le mode de scrutin actuel, dans les circonscriptions. Pour les 45 députés restants, il y aurait création de listes de partis à partir desquelles un nombre de députés de chaque parti serait élu au pro rata du nombre de votes obtenus dans chacune des 17 régions électorales.

Ces 45 sièges seraient uniquement attribués aux partis ayant recueillis au moins 10% de votes valides en faveur de l’ensemble de leurs listes de candidats régionaux.

Par conséquent, dans l’isoloir, les électeurs devraient effectuer deux votes, soit un pour le candidat de circonscription et un pour la liste régionale d’un parti.

Le but du projet de loi selon le premier ministre Legault est de conjuguer 3 objectifs :
• Mettre une dose de « proportionnelle » dans le mode de scrutin;
• Conserver le poids politique des régions; et
• Garder une certaine stabilité gouvernementale.

Si une dose de « proportionnelle » est souhaitable pour avoir une meilleure adéquation entre l’expression du vote des électeurs et la représentation à l’Assemblée nationale, certaines interrogations persistent.

En effet, la réforme augmente les probabilités de gouvernement minoritaire ou de coalition. Or, l’absence de culture politique de coalition risque de créer de l’instabilité politique. Rappelons qu’aucun gouvernement de coalition n’a gouverné depuis la Proclamation royale de 1763.

Par ailleurs, même les tentatives de convergence ponctuelle se heurtent à des intérêts partisans, comme lors du refus par Québec solidaire de proposer des candidats communs dans des circonscriptions où l’addition des votes progressistes auraient permis de vaincre un candidat libéral lors des élections de 2018. 

De plus, près de 60 % des électeurs québécois ont voté pour des partis de centre-droit aux dernières élections provinciales. Un mode de scrutin plus proportionnel rendra mathématiquement impossible l’avènement d’un gouvernement de gauche coalisé.

Finalement, un éternel gouvernement québécois minoritaire verrait son rapport de force diminué face à un gouvernement fédéral majoritaire, ce qui nuirait au poids politique du Québec au sein du Canada. 

Bref, si on croit que le projet de loi est objectivement un bon projet de loi, la realpolitik québécoise soulève des inquiétudes.

Par ailleurs, le projet de loi fera l’objet d’un référendum auprès de la population lors du prochain scrutin. Entre ceux qui veulent le maintien du statu quo et ceux qui veulent un mode de scrutin proportionnel, qui trouvent donc l’idée du gouvernement insuffisante, il y un risque que le projet soit rejeté par la population et que nous restions pris avec le statu quo.